Quand le cinéma français s'intéresse aux tueurs en série, il le fait rarement à la sauce hollywoodienne.
Le Juge et l'assassin, réalisé par Bertrand Tavernier, en est un exemple flagrant, comme l'avaient été avant lui
Le Boucher ou
Landru de Claude Chabrol.
Ici, c'est Michel Galabru, habituellement employé dans des rôles comiques (sinon grotesques) qui campe ce « cheminot » parcourant les routes de France à la fin du dix-neuvième siècle, et violant, tuant et éviscérant d'une manière abominable les jeunes filles ou garçons sans défense qu'il trouve sur son chemin.
Face à lui, un juge, incarné par Philippe Noiret, se livre à une véritable chasse à l'homme, reconstituant l'itinéraire du tueur, recoupant les témoignages, rompant avec les habitudes d'une magistrature trop empesée, pour finalement mettre la main sur le coupable et lier avec une lui une relation d'amitié trouble afin de l'amener à avouer ses meurtres. Et l'envoyer ainsi à la guillotine...
En somme, des méthodes d'investigation et d'interrogatoire d'une grande modernité, révélatrices de l'immense génie de cet homme ambitieux, qui n'en est pas moins un abominable réactionnaire, religieux fanatique, antisémite et partisan des pires violences sociales.
Le tout se passe à Privas, petite ville d'Ardèche. Une région gravée dans mon coeur et qui coule dans mes veines... Mais ça, c'est une autre histoire...
Galabru est extraordinaire dans son rôle d'aliéné doux, se proclamant « anarchiste de Dieu », mêlant à une prose d'une richesse incroyable les pires insanités, tenant des discours tantôt empreints d'une grande logique, sinon d'une étrange sagesse, tantôt parfaitement décousus, sinon ineptes. Face à lui, Noiret est (comme souvent) impeccable. Homme froid, manipulateur, certain de son bon droit, devant affronter ses démons qui s'incarne dans ce personnage trouble auquel il va vouer son existence pendant plusieurs semaines.
Mais Tavernier profite également de son film pour parler de politique, et dresser le portrait de cette période de l'Histoire française, où l'antisémitisme faisait partie du champ politique, où bon nombre de citoyens trouvaient parfaitement normal que l'on fasse tirer sur des ouvriers grévistes, où la violence des discours faisait partie de la vie sociale et ne choquait personne. C'est une France qui se cherche, une France âcre, sans pitié, sans remords, qui nous est ainsi présentée. Jonchée de personnages cyniques et désenchantés, depuis les plus hautes sphères de la société jusque dans le monde des clochards vagabonds. Un pays malade.
Aux dernières nouvelles, il ne va guère mieux...
Un film qui parle des passions humaines, de la violence, de la cruauté, du déni, de l'ignorance, avec une rare sensibilité, servi par des dialogues exemplaires, des interprètes de génie et une réalisation impeccable. Une vraie merveille à voir absolument.