Interview de Pierre-Olivier Thévenin et Jacques-Olivier Molon:
Comment en êtes-vous venus à réaliser en duo Humains ?Jacques-Olivier Molon : Nous nous sommes rencontrés en faisant les effets spéciaux d'un court-métrage, Abeas Corpus. Nous avons gardé contact et, à partir de 2001, nous avons vraiment commencé à travailler ensemble sur les maquillages de Bloody Mallory. Quelques années plus tard, nous avons fondé un atelier de FX avec un autre associé, Frédéric Balmer, ce qui nous a notamment permis de faire les effets spéciaux de À l'intérieur. Et en 2007, Pierre-Olivier a décidé de changer de métier et a commencé à réaliser des courts-métrages.
Pierre-Olivier Thévenin : Il s'agissait de deux courts-métrages très simples, destinés à un concours : il fallait raconter en trois minutes une histoire sur un thème imposé. En l'occurrence, il s'agissait du thème « Dîner de famille ». C'est un concours assez sérieux, qui compte parmi les membres de son jury des gens comme Neil LaBute ou Wim Wenders. Le premier court a bien fonctionné, et j'ai été invité à en faire un second qui a remporté le prix. Franck [Ribière] et Vérane [Frédiani] de La Fabrique de Films ont entendu parler de ce concours, et ils ont voulu me rencontrer. Initialement, ils voulaient juste que nous lisions le scénario et que nous leur donnions notre opinion sur les effets spéciaux. Un peu plus tard, ils ont également contacté Jacques-Olivier, et dès le deuxième rendez-vous, ils nous ont proposés de porter ce script à l'écran.
Réaliser des films était-il votre objectif, même quand vous faisiez des effets spéciaux ?POT : J'ai en effet toujours voulu faire des films. Sauf que pour réaliser les films qui m'intéressaient, il fallait faire des effets spéciaux, et je suis resté dedans.
JOM : J'ai toujours été dans la même optique, j'avais même fait beaucoup de films Super 8. Mais je n'ai pas eu le courage de Pierre-Olivier, qui a décidé un jour qu'il arrêtait tout pour se consacrer à ses envies de réalisation.
POT : C'était un grand risque professionnellement parlant, mais intuitivement j'ai ressenti qu'il était temps pour moi de prendre cette décision.
Savez-vous pourquoi vous avez été choisis par les dirigeants de La Fabrique de films pour réaliser Humains ?JOM : Notre expérience et notre connaissance dans les effets spéciaux, mais aussi le fait que l'on soit habitué à l'ambiance des plateaux les ont convaincus que nous pourrions relever ce défi. Je crois aussi qu'ils ont été séduits par les courts-métrages de Pierre-Olivier. Enfin, je pense que La Fabrique de films était heureuse de leur expérience avec Julien Maury et Alexandre Bustillo sur À l'intérieur, et ils cherchaient à renouveler ce mode de fonctionnement en duo, avec des réalisateurs débutants. Ceci étant dit, nous assumons pleinement le fait qu'Humains est une pure commande. Le scénario n'est pas de nous, et il nous a été quasiment imposé en tant que « shooting script ».
Et vous, qu'est-ce qui vous a attirés dans ce projet ?JOM : En premier lieu, j'étais très heureux qu'il ne s'agisse pas d'un film gore extrême. C'était un projet grand public, qui ne s'adressait pas à un nombre restreint d'initiés. J'adore le film de genre, je suis un très gros consommateur de films d'horreur, mais j'étais content d'être attaché à un film qui était destiné au plus grand nombre.
POT : Moi aussi ça m'aurait embêté de faire un film purement gore. L'opportunité de faire un film d'aventure, tourné en pleine nature semblait extrêmement attrayante.
JOM : Et le concept scientifique qui sous-tend le film nous a également séduits. Je suis un grand fan des documentaires-fiction comme Sur la terre des dinosaures ou L'Odyssée de l'espèce.
POT : Le défi que représentait la réalisation de ce film m'a aussi attiré. Je ne suis pas un aventurier de la vie, mais j'ai toujours aimé les défis.
Vous aviez d'ailleurs mené votre carrière de maquilleur de cette façon...POT : Oui, puisque j'étais parti aux États-Unis sans aucune assurance d'y trouver du travail. Et même après avoir travaillé sur Jurassic Park, Entretien avec un vampire ou Innocent Blood et avoir monté mon studio d'effets spéciaux à Los Angeles [Almost Human - NDR], j'ai à nouveau tout abandonné pour retenter des choses en France.
Réaliser le film en duo vous semblait couler de source ?POT : On a établi des règles dès le départ, c'était obligatoire.
JOM : Mais je dois quand même dire qu'on avait commencé à écrire des scénarios ensemble, et nous allions toujours dans la même direction. Ensuite, on se connaît bien, ça fait longtemps qu'on travaille ensemble. D'ailleurs, on s'est beaucoup plus engueulé en FX qu'en réalisation. Il n'y a eu qu'une seule dispute sur Humains, d'un niveau de faiblesse extrême (rires) !
Y a-t-il une section du film que vous revendiquez plus que l'autre ?JOM : Une lutte à mains nues, qui a lieu à la fin du film, vient plus de moi je pense. Après il s'agit vraiment de détails... Et il faut rendre justice à Pierre-Olivier qui a vraiment endossé la majorité des responsabilités.
POT : Et le processus est si long qu'au bout d'un moment, il est difficile de savoir qui a fait quoi exactement.
Combien de temps a duré la préproduction ?JOM : On nous a proposés de faire le film en avril 2007. Et une première prépa s'est lancée durant l'été 2007, mais nous n'avions alors plus assez de temps pour parvenir à tourner avant l'hiver. Et comme à l'époque nous devions filmer les extérieurs au Canada, nous allions droit à la catastrophe. Donc on a relancé le film début 2008. La seule chose qui soit restée du Canada, c'est Adrien Morot de Maestro FX, qui avait fait à l'époque un devis pour les effets spéciaux de maquillage, et qui est resté jusqu'à la fin, sur le projet.
Vous saviez dès le début que vous alliez tourner en HD ?JOM : Il y a eu un gros débat. Moi je souhaitais tourner en pellicule, mais en format 1.85.
POT : Et moi en HD, mais en 2.35 (rires) !
JOM : Et à l'arrivée, on a tourné en HD et en 1.85 (rires).
POT : Nous pensions que la HD allait nous simplifier la vie sur le plateau, ce qui ne s'est pas vérifié d'ailleurs. Personnellement, j'étais intéressé depuis longtemps par le rendu de certains systèmes HD. Par exemple, on a longtemps pensé tourner avec la Red One [employée dernièrement par Soderbergh sur Che - NDR]. Et puis, on a fait des tests avec la Sony F23 en sous-bois ensoleillés, et on a été conquis par le rendu. Elle encaissait superbement bien la haute lumière, les contrastes et les mouvements rapides.
JOM : Quant au format, on peut penser que vis-à-vis des décors naturels, le 2.35 s'imposait. Mais moi, j'adore le 1.85 parce qu'il permet de rentrer plus dans les personnages, de rester au plus près des comédiens.
Au final, vous avez tourné au Luxembourg et en Suisse...POT : Nous avons passé trois semaines en Suisse, et cinq semaines et demi au Luxembourg. Ce mélange nous a fait très peur, parce que nous craignions de ne pas pouvoir faire la transition entre ces deux pays.
JOM : Heureusement, au Luxembourg, il existe le Mullerthal, une région surnommée « La Petite Suisse » où l'on trouve des rochers qui peuvent rappeler les formations rocheuses helvétiques.
POT : Nous avons notamment filmé au Luxembourg une section du film qui se déroule au fond d'une crevasse, avec une voiture accidentée que l'on a dû acheminer sur place avec des chevaux, faute de pouvoir y faire parvenir un véhicule ! Il n'y a pas de studio dans notre film. L'intérieur des grottes a été filmé dans des mines de fer par exemple.
JOM : Ce qui, logistiquement, était très contraignant.
POT : Mais c'est le prix à payer pour obtenir des décors un peu exotiques.
JOM : D'ailleurs, pendant les repérages, nous avons vécu des instants de peur incroyables en montant en très haute montagne.
Comment avez-vous défini la charte graphique du film ?POT : Nous avions fait quelques croquis et quelques visuels, notamment avec le logiciel Z-Brush pour certains des personnages dont devait se charger Adrien Morot. Je retravaillais également sur Photoshop les photos prises durant nos repérages, pour donner une idée de l'atmosphère recherchée. J'ai opté pour des verts très saturés, avec des reflets or. Je voulais une nature à la fois belle, foisonnante et inquiétante. Mais mes travaux préparatoires ont été un peu biaisés, parce que nous avons fait les repérages en automne et en hiver. Or, la lumière était très différente quand nous avons tourné, en été. Au final, nous avons donc fait quelque chose d'un peu plus naturaliste.
Comment avez-vous préparé votre découpage ?POT : On faisait un découpage écrit. On le confrontait ensuite à un story-board, et nous avons fait des animatiques quand ça nous semblait nécessaire. Mais c'était vraiment pour quelques toutes petites séquences, parce que l'animatique nous demandait énormément de temps.
JOM : Nous avons story-boardé tout le film au final.
POT : Mais certains décors ont été trouvés sur le tard, et du coup nous avons suivi tant bien que mal ce que nous avions prévu... Ce n'est pas très grave d'ailleurs, parce que grâce au story-board, tu as un canevas : tu connais déjà tes axes et tu sais ce dont tu as absolument besoin pour monter ta séquence.
Vous vous étiez imposés des règles de mise en scène ?POT : Nous souhaitions éviter l'esbroufe visuelle. On préférait rester constant tout au long du film, plutôt que d'avoir de soudains sursauts de mise en scène ostentatoire. Nous sommes tous demandeurs d'un beau et long travelling, mais dans la pratique ça peut être une envie déplacée parce qu'elle sera trop longue à mettre en place et que tu devras y sacrifier trop de choses.
JOM : Nous visions en effet l'efficacité. Mais ceci étant dit, notre caméra est presque tout le temps en mouvement, on a pas mal utilisé le Steadycam. Après, ce ne sont pas de grands mouvements démonstratifs.
POT : Notre mise en scène n'est certainement pas austère, mais il fallait servir l'histoire avant toute autre chose.
JOM : Nous nous devions de rester humbles.
Humains sort dans deux mois. Qu'aimeriez-vous que les spectateurs attendent de votre film ?JOM : Humains est un simple divertissement. Nous avons juste essayé de faire un bon film, sans aucune ambition idéologique dans le cadre du genre. Nous voulons que les gens en aient pour leur argent, c'est aussi simple que ça...