Comme l'élève qui débarque en cours d'année dans une classe établie, avec des gouts vestimentaires différents, une autre façon de parler et un comportement qui ne se conforme pas à celui de ses camarades,
"Massacre à la tronçonneuse" est un film que l'on aborde avec méfiance, dédain ou moquerie. Peu essayeront de l'approcher ou de le comprendre et c'est bel et bien la malédiction d'une œuvre à part, qui n'est certes elle-même pas parfaite mais qui ose prendre le contrepied de ce que l'on attendait d'elle tout en respectant ses ainés. Mais la direction qu’elle a choisi de prendre étonnera, décontenancera, agacera, choquera ou éblouira.
DE LA SUITE DANS LES IDÉESLe scénario de Adam Marcus (
"Jason va en enfer", qui déjà s'éloignait de la franchise avec un certain bonheur) se raccroche aux rails de la saga initiée par Tobe Hooper et Kim Henkel en débutant au moment de l'évasion de Sally Hardesty de la maison des Sawyer, sautant d'une fenêtre de l'enfer pour retrouver une liberté qui ne s'accompagnera que de la folie. C'était un dix-neuf Aout. La famille d'anciens bouchers au chômage fait alors face, après s'être réunie avec leurs cousins Carson, aux forces de l'ordre menées par le shérif Hooper, un homme qui apparait raisonnable et qui ne demande que l'on lui livre Jebediah, un enfant dans le corps d'un géant doublé d'un meurtrier abominable. Le refus de la famille entraine la vindicte des habitants des environs, car Jebediah n'en est apparemment pas à son premier forfait aussi une foule hurlante viendra interrompre les négociations qui allaient aboutir, menée par Burt Hartman. Fusillade, incendie, la famille Sawyer est impitoyablement massacrée. Mais il reste deux survivants. Jebediah s'est échappé et un nouveau-né, une petite fille, est recueillie par Gavin et Arlène Miller. Verna, la grand-mère qui n'était pas sur place, a survécu également.
A partir de cette introduction dont le générique reprend la trame et les extraits du film original de 1974, Marcus et Sullivan décident de concentrer leurs efforts sur la petite fille, désormais femme, et qui travaille dans la boucherie d'un centre commercial, Heather. Son apparence, oscillant entre le gothique et le grunge, ne dénote pas d'une personnalité qui se cherche. Elle vit avec Ryan, un noir. Les couples interraciaux sont suffisamment rares dans le cinéma américain pour que cela soit signalé. Ce n'est pas fondamentalement un acte de courage que d'écrire une relation de ce type de nos jours mais la frilosité à ce sujet demeure une bonne raison de le faire remarquer. Ses rapports avec des parents adoptifs infâmes sont compliqués, sa meilleure amie est une vicieuse qui couche avec Ryan dans le dos de la jeune femme...bref, une accumulation d'incidents de parcours de vie difficiles à réprimer. Mais Heather semble pour autant garder les pieds sur terre.
Lorsqu'elle apprend qu'elle est l'unique héritière de la demeure de sa famille d'origine au Texas, elle décide de s'y rendre accompagnés de ses "
amis". Ils font connaissance d'un autostoppeur qu'ils manquent de renverser à bord de leur mini-van et qui les suit jusque dans la ville natale de mademoiselle Miller. Sur place, la maison est grande, les ruraux méfiants et la lourde porte en fer du sous-sol recèle bien des malheurs.
REFAIRE SANS REMAKER"Massacre à la tronçonneuse 3D" débute donc comme un
slasher efficace, avec des jeunes adultes, une grande maison inquiétante, une petite ville perdue et bien-sûr un maniaque sadique et finalement plutôt vengeur. Ce qui aura sans doute joué en défaveur du film dans son rapport avec la presse et les fans, c'est l'idée de reprendre l'histoire dés la fin du film de Hooper et de la poursuivre de nos jours, en faisant l'abstraction des cohérences temporelles. Oui,
"The Texas chainsaw massacre" se déroule en 1974 et oui,
"Texas chainsaw" est un film contemporain. Mais jamais il n'est fait mention de la date dans la version de John Luessenhop. Aussi pourra-t-on se demander comment une femme de trente-neuf ans est-elle aussi bien conservée ? Ou à contrario s'interroger sur la présence de smartphones en l'an 2000.
Car si Heather et ses amis ont environ vingt-cinq ans, cette suite officieuse de 2013 se déroule de nos jours. D'ailleurs, si le jour de l'évasion de Sally Hardesty et l'éradication des Sawyer remonte bien au dix-neuf Aout, il n'est jamais fait mention d'aucune année dans
"Texas Chainsaw". Cette volontaire omission fera sans doute jaser les puristes mais une fois rendus à l'évidence, cela ne nuit pas vraiment au film car les auteurs ont pris soin d'être suffisamment subtils pour qu'aucune tenue vestimentaire ni aucun anachronisme ne vienne enrayer la machine.
D'ailleurs il est plutôt ludique de s'amuser à trouver la date à laquelle se déroule l'histoire car, jusqu'à l'apparition lors d'une séquence effrayante des fameux
Iphones 4S, il faut avoir l’œil et l'oreille pour se rendre compte que l'action est située de nos jours. Les vêtements ne prétent pas trop à confusion ni l'attitude ou le langage des protagonistes. Par contre, une
Chrysler un peu trop récente (que je n'aurais pas remarquée si l'on ne me l'avait pas dit^^) et deux morceaux de rap écoutés dans le mini-van laissent supposer que nous sommes au moins en 2012.
Les incohérences et autres détails chagrins viennent surtout du script lui-même et de la réaction de certains personnages. On peut s'interroger sur la confiance absolue que le petit groupe donne à ce jeune autostoppeur qu'il vient à peine de rencontrer, lui laissant le champ-libre dans la maison, par exemple. On s'est aussi posé la question sur le fait que l'héroïne semble faire peu de foi du massacre de ses amis, mais sans vouloir trop en dire sur l'intrigue et le déroulement des évènements, elle a de bonnes raisons de ne pas atermoyer sur leur sort.
Il y a donc des faiblesses évidentes dans le scénario d'Adam Marcus et Debra Sullivan mais ces erreurs apparaissent comme l'aveu d'une certaine forme d'impuissance face aux conventions d'un genre codé et galvaudé, conventions auxquelles il faut succomber pour mieux renaitre. Et c'est exactement ce que fait le film de John Luessenhop.
LEATHERFACELIFTLes différentes photographies ou affiches représentant Jebediah Sawyer, surnommé Masque de cuir, n'avaient pas rassuré tout le monde. Certes, la mauvaise foi et le côté foncièrement négatif de beaucoup d'internautes avaient beaucoup joué dans le désamour que l'on peut éprouver face à cette nouvelle incarnation du tueur créé par Hooper et Henkel, qui dans le présent film porte trois masques, allant jusqu'à coudre le dernier à même son propre visage. S'il a pris un quart de siècle dans la carcasse, Leatherface demeure très impressionnant.
Son inactivité de longue durée, à l'abri de la violence faite à sa famille par les villageois et Burt Hartman, n'a pas entamé sa soif de sang et s'il ne délivre pas tout son mystère, ce meurtrier cannibale version 2013 est probablement le plus intéressant de toute la franchise. Sa famille est parfaitement consciente de ses méfaits, peut-être a-t-il même été aidé par cette dernière qui l'a en tout cas couvert. Leatherface apparait comme un enfant attardé mais néanmoins conscient de ses actes. Il sait qu'il tue, il aime ça et il veut jouer avec ses victimes comme il le fera avec Heather lorsque cette dernière est enchainée dans l'abattoir. Il n'éprouve ni remords, ni pitié mais les liens du sang sont ce qu'ils sont.
La famille a toujours joué un rôle très important dans toute la saga depuis 1974. Ici également même si Jebediah Sawyer apparait comme l'unique meurtrier du film. La solitude qu'il a du supporter, en dépit de l'affection de sa grand-mère Verna ne l'a pas assagit. Il garde en tête le massacre des siens et voit tout intrus comme une menace potentielle, aussi bien qu'une proie, lui donnant donc matière à vengeance et plaisir dans l'accomplissement de la mise à mort. Jeb a conservé en plus de son instinct meurtrier ses habitudes d'ancien boucher au chômage et dispose toujours de ses victimes comme s'il s'agissait de morceaux de viande une fois passées de vie à trépas.
Ici, nous avons à faire à un Leatherface qui se rapprocherait plus de celui de Marcus Nispel pour le remake de 2003. Il n'est pas foufou comme dans la suite de 1986 (l'une des meilleures comédies horrifiques à ce jour), ou même docile comme dans l'original d'il y a bientôt quarante ans. Son apparence le fait également ressembler à la version R.A. Mihailoff du film de Jeff Burr en 1990 ainsi que son attitude. Loin, très loin de l'humour très noir de Hooper, ce
masque de cuir contemporain est un individu bien plus sinistre et posé, capable de faire des choses plus sensées qu'à l'accoutumée. Si son éloignement d'avec le monstre à visage de chair des
seventies ne plaire évidemment pas à tout le monde, il serait difficile de blâmer l'écriture et l'interprétation de Dean Yeagher tant le comédien met du cœur et de l'âme dans son rôle, aussi saugrenus ces mots puissent-ils paraitre à l'évocation de
"Massacre à la tronçonneuse".
HEATHERFACELa meilleure idée du film, c'est sans conteste l'introduction du personnage de Heather Miller, ou Heather Sawyer. Interprétée par une prodigieuse Alexandra Daddario qui avait déjà fait montre de l'étendue de son talent dans l'exceptionnel
"Bereavement" en 2011, Heather est le fil conducteur du récit. Jeune femme endolorie par une vie que l'on devine douloureuse. Adoptée par un couple de hirsutes indélicats, héritière d'une famille maudite et sanguinaire, trompée par celui qui partage sa vie et sa meilleure amie, menacée par un cousin psychopathe et traquée par les responsables du massacre des siens bien décidés à terminer le travail commencé il y a vingt-cinq ans, Heather n'aura d'autre choix que de se défendre, de lutter, tout en comprenant que son destin est indéniablement lié à son passé.
Il s'agit de la grande trouvaille du film. Alors que beaucoup de spectacles horrifiques se contentent du strict minimum en matière de création et d'incarnation de leurs protagonistes, l'écriture de la jeune femme est subtile et bien pensée. Elle n'évite pas certaines facilités mais ces facilités peuvent aussi se révéler être des évidences, comme le fait que Heather soit plus ou moins affiliée au mouvement gothique. Les dérives de certains jeunes ne les mènent-elles pas à se rapprocher d'une indicible force obscure ? Néanmoins, la cousine de Jebediah Sawyer s'entoure d'un petit ami amateur de rap (et ça c'est une vraie souffrance^^) et tente de garder le sourire même si la vie l'a souvent malmenée. Un sourire qu'elle ne gardera pas bien longtemps.
Car le chemin de croix que subira la jeune femme va l'affirmer et la changer à jamais. En l'espace d'une nuit, le déferlement de violences et de révélations lui feront accepter ses origines tout comme sa potentielle vraie nature. Ainsi les liens unissant Leatherface à Heather, bien que scellés par la mort et les malheurs, ne sont-ils pas plus fort que tout ? L'acceptation de son sort par Heather est le gros point fort du film, ce qui d'ailleurs le fait définitivement basculer de
slasher agréable mais inégal à un véritable drame humain absolument fascinant. Car c'est en acceptant Jebediah qu'elle se redéfinira elle-même.
EN DENTS DE SCIEIl y a donc en quelques sortes deux films en un dans
"Massacre à la tronçonneuse 3D", le thriller horrifique sympathique, techniquement bien fichu, parfois tendu et barbare mais auquel il manque quelque chose pour le sortir du lot, et justement cette main salvatrice qui l'extirpe du panier des productions du genre. Un peu comme l'avait fait Rob Zombie pour Michael Myers, non sans un certain tollé ni une évidente admiration comme lorsque l'on démolit une icône pour mieux la reconstruire, Adam Marcus, Debra Sullivan et John Luessenhopp refaçonne Leatherface. Ils rattache à la mythologie d'origine une réinterprétation du personnage et comme pour les deux
"Halloween" de l'époux de Sheri Moon, c'est ce qui pourra nuire au film et mécontentera beaucoup de spectateurs.
Car il faut s'attendre à découvrir au fur et à mesure de la projection un tueur à la tronçonneuse différent de tous ceux que l'on a connu depuis quarante ans. Ainsi la dernière partie, à la fois terrifiante et émouvante, crée l'imparfaite symbiose entre deux êtres que tout opposent sauf le sang qui coule dans leurs veines. Et nous donne par la même occasion des moments vraiment intenses où la chair de poule parcours le corps. Le
"You're a Hartman ?! I'm a Sawyer" murmuré par Heather alors en plein bouleversement de ses perceptions et de ses perspectives est absolument pétrifiant, tout en étant que les prémices d'évènements et d'un final dans l'abattoir riche en instants formidables, là où la simple série B gore fusionne avec une œuvre beaucoup plus intimiste et ambitieuse. Cela ne plaira pas, c'est certain, mais à condition d'accepter la métamorphose du film et à la fois la belle originalité et le courage dans la direction qu'il prend à l'orée de son troisième acte et jusqu'à son terme, on se retrouvera devant un grand film d'horreur, qui n'a sans doute pas à démériter de son ainé. De la même manière, les cinq dernières minutes, fascinantes, amortissent la sortie difficile de ce
"Massacre à la tronçonneuse" qui s'avère être une très grande réussite, même si le film n'est pas parfait.
Son plus grand problème restera de toute façon d'avoir trop voulu se raccrocher aux rails de l'original de 1974, et de vouloir coller à la saga tout en proposant quelque chose de différent. Il y a de nombreuses références dans
"Texas chainsaw" qui n'étaient pas indispensables. Il faut les voir comme des clins d’œil polis, des passages obligés, que le grand fan de cinéma d'horreur et scénariste Adam Marcus à disséminés pour faire plaisir. Mais cette fois, c'est vraiment le chocolat qui est plus intéressant que le cadeau du Kinder surprise. A noter d'ailleurs qu'il faut rester jusqu'au bout du générique de fin pour découvrir une ultime séquence dispensable mais sympathique !
La mise en scène de John Luessenhop est réussie, il y a dans le choix des angles tout comme dans les couleurs des partis-pris vraiment intéressants et le film ne sacrifie jamais sur l'hôtel de la surenchère et du montage
"charcuté". L'utilisation de la technologie 3D n'est pas fondamentalement indispensable mais le relief est de qualité, tant au niveau de la profondeur (notamment lors de la visite diurne d'un cimetière familial et lors du final dans l'abattoir) que des effets de jaillissements où l'on a l'impression que la tronçonneuse va nous réduire en mou pour les chats.
La musique de John Frizzell est efficace et convaincante, le gore est présent sans inonder l'écran de la première à la dernière image mais il y a de nombreux passages sanglants. L'interprétation est elle aussi de bonne tenue pour la plupart des acteurs, et Alexandra Daddario compose une héroïne malgré elle d'exception, provoquant larmes et frissons et révélant une personnalité de comédienne forte et attachante soit l'un des plus beaux et forts rôles appréciés depuis un moment dans le cinéma d'horreur.
"Massacre à la tronçonneuse 3D" est une œuvre singulière, parfois maladroite et tantôt diablement impressionnante. D'ors et déjà un film maudit que son audace teintée de d'une déférence par presque obligation n'aidera pas à se faire respecter.
Sawyer is family !