"Mulberry Street", le premier essai de long-métrage de Jim Mickle, nous présentait l'invasion de New-york par des mutants hommes-rats qui s'attaquaient à tout ce qui bouge, et en particulier aux habitants d'un immeuble de la rue éponyme, un quartier populaire où vivent différentes communautés. Ce film possédait de très nombreux défauts dont le plus délicat s'avérait être une mise en scène vraiment pénible à suivre, chaotique et hystérique mais probablement nécessaire afin de masquer l'absence presque totale d'un budget décent compte-tenu de ce que l'histoire exigeait.
Néanmoins,
"Mulberry street" contenait d'excellentes choses : une direction d'acteurs exemplaires et le talent évident de l'ensemble du casting, justement.
C'est grâce à Larry Fessenden, producteur et réalisateur dévoué au genre à qui l'on doit d'avoir aidé entre autres Ty West à monter son exceptionnel
"House of the devil", que Jim Mickle a pu mener à bien son nouveau projet. Ici, il est toujours question, d'une mutation qui pousse les infectés à s'attaquer aux sains, mais cette fois, ce n'est plus une rue de la ville qui ne dort jamais qui sera le théâtre de ces cruels et horribles événements mais l'Amérique du Nord elle-même. Et l'Amérique, Jim Mickle et son acolyte Nick D'Amici l'aime mais ô lui en veulent-ils aussi beaucoup. L'Amérique, c'est cet enfant terrible qu'on a envie de frapper mais qui vous attendrit dans sa complexité ou le chien méchant que l'on a connu dévoué, câlin et adorable.
Il est donc question de vampires dans
"Stake land". Des vampires qui n'ont rien en commun d'avec les suceurs de sang ambigus d'Anne Rice, la famille scintillante au soleil et non-violente de Stephanie Meyer ou le comte Dracula mélancolique de Bram Stocker. Ici, l'humanité a presque définitivement abandonné ces êtres assoiffés, jamais rassasiés et dont on devine sans peine la grande souffrance qui les ronge sous leur apparence repoussante de créature de la nuit.
C'est sans qu'aucune raison valable, sans pirouette douteuse à base de virus échappé d'un laboratoire ni sans une quelconque malédiction ancestrale que le fléau vampirique s'est abattu sur le monde. A la manière des zombies de George Romero, Mickle et D'Amici ont choisi de ne pas expliquer le phénomène, juste de constater sa propagation et ses dégâts. Le monde est donc en proie à une infection que l'on ne peut apparemment pas enrayer et les vivants essayent de s'organiser comme ils le peuvent, le gouvernement étant tombé et une organisation, la confrérie (
the Brotherhood), a décidé d'appliquer sa loi, ses règles et son Dieu, n'hésitant pas à recourir à la violence pour imposer sa suprématie. Confrontés et aux vampires et à cette espèce de secte à la chrétienté plus qu'équivoque, les hommes, les gens n'ont pas d'autre choix que de sans cesse se battre ou se cacher. Nous nous intéresserons alors au parcours mouvementé de cinq d'entre-eux : Martin, un adolescent orphelin, Mister, un individu taciturne mais courageux et sans peur, Belle, une jeune femme enceinte, Will le vétéran de la guerre et une bonne-sœur aimante.
Mister s'impose dés le début en tant que chef du groupe, il est celui qu'il faut suivre, écouter et ne pas contrarier. Il éduque Martin à devenir un tueur de vampires uniquement pour se défendre, l'endurcit tout en évitant de se substituer à son père décédé qu'il a lui-même tuer avant de recueillir le jeune homme. Nick D'Amici, qui était déjà le personnage principal patriarcal (il attendait le retour de sa fille d'Irak) de
"Mullberry Street" et qui est aussi le co-scénariste du film, incarne avec une froide détermination un héros à la fois attachant et inquiétant. Le visage extraordinaire du comédien lui permet de faire accepter une palette d'émotions vraiment intéressante. S'il semble refuser l'attachement, il n'en oublie pas pour autant ses valeurs, ses croyances. Ainsi, il croit en Dieu mais pas en celui que Jebediah, le chef de la confrérie, essaye de lui imposer. Il sauve la bonne-s?ur des griffes de psychopathes violeurs, Martin de vampires ayant décimé sa famille et ne prend jamais de plaisir à tuer les goules. Un homme digne et droit dont on ne connaitra pas le passé mais qui impose une magnifique présence, à mille-lieues à mon avis d'une figure
Carpenterienne du héros d'action.
Connor Paolo est également formidable dans le rôle d'un adolescent qui n'aura pas eu le temps de pleurer les siens qu'il a vu mourir sous ses yeux. Le destin du monde ne lui en aura pas laissé l'occasion. Il devra s'adapter à sa nouvelle condition, sa nouvelle vie sous l'égide de Mister. Mais Martin apprend vite et il sait déjà se battre même s'il commet encore des erreurs. Il découvrira des sentiments au cours de son périple qu'il n'avait eu la possibilité d'explorer avant que l'humanité ne soit mise en danger. Ainsi, la présence de Belle, cette jeune future maman qui le séduit naïvement dans un bar en chantant un classique de la musique américaine et qui va les accompagner dans leur voyage, lui apprend l'amour. Un amour qui se cherche, un amour discret mais qui lui fait cependant bien battre le c?ur.
Même s'ils sont un peu moins développés que nos deux héros, La bonne-s?ur, Belle et Will n'en restent pas moins des personnages secondaires mais importants. Kelly McGillis apporte tout son talent à incarner une femme fatiguée, en proie au doute et qui se rend compte que le Dieu qu'elle sert et vénère n'a rien à voir avec celui qui a été imposé par la confrérie. Confrontée à une terrible situation, elle devra même faire un choix qui va à l'encontre de ses préceptes religieux. Quand le sauveur n'est plus qu'un épouvantail dans un champ...
Will est un marine, une figure héroïque américaine, mais il n'est plus rien et n'a plus rien à son retour au pays, tandis le que chaos global s'installe. Maltraité et martyrisé par la confrérie qui s'apparente à l'écoute du discours radiophonique d'un de leurs chefs à un nouveau Ku Klux Klan érigeant la nation aryenne pure et sans défauts comme la seule ayant le droit de fouler le sol de cette planète, les autres n'étant que chair à vampires qui apparaissent alors comme une punition divine, Will qui est noir n'a d'autre choix que de fuir.
Les personnages, bien écrits et superbement interprétés (même les troisièmes rôles comme le shérif, le barman ou Peggy sont joués avec beaucoup de talent) possèdent une épaisseur qui certes aurait encore pu être creusée mais dans le cadre d'un film d'épouvante, il est tout de même de plus en plus rare de découvrir des individus vraiment intéressants. D'ailleurs,
"Stake land" est-il vraiment un film d'épouvante ?
Si les séquences mettant en scène les méfaits des vampires font preuve d'une très grande efficacité dans la gestion des lumières et des unités de lieux et d'action à tel point que le travail a du être vraiment difficile car le budget du film,évidemment supérieur à "
Mulberry street", n'est pas élevé, l'atmosphère et l'ambiance qui se dégagent du film le dédouane totalement d'une œuvrette horrifique lambda conçue dans le seul et unique but d'effrayer les âmes sensibles ou de rassasier les amateurs de gore.
J'ai lu de ci de là que
"Stake land" était comparé à
"La route" et il vrai qu'on a plus ici à faire à un Road Movie fantastique mais dans lequel la partie dramatique a été développée et travaillée. Parfois contemplatif, lent mais dans le sens cinématographique le plus noble du terme, parcouru de moments de terreur glaçante et de séquences où l'émotion n'interdit pas de se sentir bouleversé par ce qui se déroule sur l'écran, le film de Jim Mickle possède une profondeur telle que c'est plus vers le drame d'anticipation qu'il devrait trouver sa place qu'aux côtés de titres comme
"Une nuit en enfer" par exemple. De là, s'il fallait définitivement lui trouver un statut, à le qualifier de
"Aux frontières de l'aube" du point de vue humain, il n'y a qu'un pas qu'il serait tout à fait envisageable de franchir.
Mais
"Stake land" est surtout un film sur cette maudite Amérique. C'est un
Americana de l'horreur, un voyage là où les nantis ne veulent pas aller. Récemment, des longs-métrages comme
"Winter's bone" ou le cinéma de Rob Zombie s'y sont aventurés. L'Amérique des laissés-pour-compte, des pauvres et des crasseux. Il plane d'ailleurs sur certains décors l'ombre des rues de la Nouvelle-Orléans dévastées par l'ouragan Katrina, une crise fort mal gérée par les hautes instances du pays et qui restera longtemps dans les mémoires puisque autant la télévision que le cinéma s'y intéressent pour ne pas oublier et pour ne pas réfuter ce qui s'y est passé.
Il y a cette volonté chez Mickle et D'Amici de proposer dans leur film une métaphore jamais lourde ni sentencieuse de l'état dans lequel une certaine Amérique est actuellement plongée.
Tout comme il n'est pas interdit d'y voir une charge puissante contre cette elle-même toute puissante religion qui autrefois soudait et qui à présent verrouille le pays, utilisée à tort et à travers par n'importe qui au nom de n'importe quoi. La scène où la confrérie jette des vampires du haut d'un hélicoptère afin qu'ils attaquent aux paisibles habitants d'une ville qui a refusé la coupe de la secte va dans ce sens. Tout comme le fait que Mister rejette le Dieu de Jebediah.
"Stake land" ne dit pas non au christianisme, ce n'est pas une œuvre anticléricale et ce serait même tout son contraire car c'est cette croyance qui maintient en vie certains personnages. Mais ses dérives et sa folie propagatrice sont des armes de mort et c'est sur ce sujet que Mickle et D'Amici véhiculent leur point de vue.
Si la mise en scène plutôt désastreuse de
"Mulberry Street" pouvait choquer, il n'en allait pas de même concernant l'intéressante étude de caractères. Ici par contre, Jim Mickle s'est incroyablement amélioré, allégé de certaines contraintes budgétaires. Son film est visuellement très beau et il parvient à capter la potentielle laideur de villes abandonnées et de forets lugubres avec une vraie sensibilité de laquelle émanent de beaux moments de vraie poésie , qu'elle soit macabre ou plus simplement naïve, un peu à la manière du cinéma de Victor Salva.
Si le scénario ne sort pas fondamentalement à l'origine des sentiers battus, il se permet lui aussi , hormis ces moments allégoriques ou psychologiques, quelques surprenantes bifurcation et il transparait vraiment de la douleur, de la noirceur et un terrifiant désespoir de
"Stake land" qui contrebalance toujours une note d'espérance avec un événement tragique. Tout est ici âpre, sombre et terriblement incertain à tel point que la projection laisse les yeux rougis par les larmes et une certaine forme de fatigue due à la rigueur et à la gravité de cette ballade chez les non-morts, là ou les vivants sont en permanence sur la corde raide.
"Stake land" est une œuvre marquante. Un film qui ne laisse pas indemne autant par sa beauté, son intensité, les thèmes qui y sont abordés que par toute la globalité des différents talents qui se sont mélangés pour enfanter, j'imagine dans la douleur des séries B désargentées, un moment de cinéma épuisant, nécessaire et admirable. Une petite parenthèse sur l'exceptionnelle musique du film composée par Jeff Grace et qui je l'espère sera éditée dans le commerce car elle est probablement du niveau de celles de
"Vorace" ou
"Jeepers Creepers" dans la qualité, l'originalité et le maelström d'émotions.
Certes, il y a bien quelques défauts notamment à l'occasion d'un moment de la dernière partie un peu grotesque dans l'inattendu, mais il n'en demeure pas moins un coup de massue qui risque de resté marqué dans ma mémoire.
Alors que le cinéma horrifique était plutôt en berne ces derniers temps, le film de Jim Mickle et Nick D'Amici me rappelle pourquoi j'adore tant le septième art et surtout y découvrir de tels bijoux d'une rareté imparable.