Que penser de "God bless America" ?
Doit-on se sentir révolté par le film ? Son message ? Ses intentions ? Ou plutôt se sentir en phase avec les travers dénoncés par la plume de l'humoriste Bobcat Goldthwait ? Peut-on prendre "God bless America" comme une bouffée d'air frais ? Doit-on se réjouir de ce à quoi l'on vient d'assister ?
Il m'apparait tellement difficile de m'exprimer sur le film alors que je viens à peine d'en terminer la vision que j'ai hésité à attendre un repos bien mérité avant de le faire. Et puis non ! L'exorcisme doit être pratiqué dés à présent, à chaud alors que les émotions sont intactes.
Oui, "God bless America" est très drôle, mais ce n'est pas pour autant une comédie. Oui, le film est très émouvant même s'il ne constitue pas un drame pur et dur non plus. Bob Goldthwait est énervé par son pays et toutes les futilités qui s'y déroulent jours après jour, à l'image de son Frank Murdock d’antihéros. Il n'y pas d'incitation à la violence, pas d'appel à la haine ni à la destruction et il serait probablement inapproprié de taxer le film d'anarchiste. Si c'est un brûlot, il l'est avec une grande subtilité. Si c'est une comédie, elle est la plus féroce vue depuis des années. Car oui, c'est une comédie. Mais c'est aussi un drame. Ou peut-être ni l'un ni l'autre.
C'est un film écrasant, harassant, tétanisant et hilarant. Des débuts de dérive de Frank jusqu'au final plus que grinçant, "God bless America" se vit comme rarement un film peut insuffler de la vie à la personne qui le regarde. Sans chercher la comparaison surtout que les deux films ne se ressemblent pas, les émotions pénétrantes que transmet Goldthwait, il fallait les chercher plus récemment dans le "Red State" de Kevin Smith, autre constat alarmant et non alarmiste d'une déliquescence qui ne s'arrêtera pas avec la bonne volonté de certains.
Ainsi, le parcours atypique de Roxy et Frank ne s'apparente ni à une ballade sauvage, ni à une chute libre, ni à un droit de tuer. Ici, c'est un même écœurement des banalités repoussantes infligée par les médias, avalées et régurgitées par la masse qui est aussi coupable de reproduction active de la connerie qu'on lui sert à longueurs de temps qui les poussent à commettre des actes terribles. Mais ce n'est pas une croisade, c'est un nettoyage dopé à la catharsis et personne, non personne, n'est épargné.
Car le film ne milite pas pour telle ou telle cause. Le mal est partout, tant chez les méchants catalogués d'office que chez les gentils qui envisagent le bien sous un angle qui n'est pas pour plaire à notre duo pas vengeur et pas rédempteur. Leurs coups de feu sont des comprimés contre les maux de tête, les détentes de leurs armes agissent comme des antistress.
Une longue séquence de dialogues dans une chambre d'hôtel où Roxy et Frank évoquent tout ce qui les agace(dont Diablo Cody et ceux qui n'arrêtent pas de se faire des high five !^^) et tout ceux qui méritent de passer de vie à trépas fait à la fois froid dans le dos sans pour autant détruire ce sentiment de complicité, cette compréhension et alors cette presque absolution qu'on voudra bien leur accorder, même s'ils ne sont pas à plaindre plus que d'autres. Ce ne sont que des êtres humains qui décident un jour d'évacuer leurs problèmes et leurs frustrations dans le sang et la mort. Aussi futiles certains de ces soucis fussent-ils !
Il y a une vraie volonté, assumée et surtout parfaitement réussie de rendre les personnages aimables et attachants et les comédiens Joel Murray et la jeune Tara Lynne Barr sont simplement exceptionnels. Frank et Roxy font désormais partie de ma vie et je les aime et aimerais toujours. L'écriture jouissive et libératrice permet à ces deux-là d'exister presque au-delà de l'écran. L'envie de les pousser à accomplir leurs actes ou au contraire de les supplier d'arrêter. Cela faisait un moment que des individus de cinéma n'avaient pas à ce point imprimer le cœur et l'âme. Une affection douloureuse.
La mise en scène n'en rajoute jamais. La caméra de Goldthwait est toujours bien placée (notamment lors d'une froide et impressionnante séquence de mise à mort dans un hôtel) et ne dessert jamais le propos, le confortant même dans une étrange ambiance aérienne et éthérée, jamais hystérique.
"God bless America" est une vraie expérience bouleversante. un film qui dérange, qui met très mal à l'aise, prenant à rebrousse-poil et évitant toujours de sombrer là où l'on pourrait craindre qu'il va sombrer. C'est un film courageux, différent, rare dans le paysage cinématographique américain (et pourquoi pas mondial ?) qui divisera probablement autant qu'il rassemblera. Un film qui réveille, un film qui ravit, un film qui agace.
Bobcat Goldtwaith signe une œuvre à laquelle on peut adjoindre le mot "chef". Le genre de film qui touche la conscience, sans pour autant l'éveiller. Ce n'est pas un brûlot, pas un appel à la prise d'armes ni au meurtre. C'est aussi un très grand portrait de deux âmes qui hurlent, qui ne se savent ni se sentent à l'abri et qui prennent les devants. C'est également une touchante histoire d'amour, mais pas cet amour-là (Dieu merci !).
Après avoir vu "God bless America" jon peut retourner s'abrutir devant "Mon incroyable anniversaire" sur MTV, entrecoupé de publicités pour des sonneries à base de pets. Bienvenue dans le monde normal.