Bonjour.
J'ai toujours accordé beaucoup d'importance aux vêtements portés par les comédiens d'un film et au travail de costumiers à mon avis un peu trop souvent passé sous silence. Mais il ne s'agit néanmoins pas ici de dresser une liste des plus beaux habits que l'on ait pu apprécier au cours de la vision d'un film mais plutôt de s'attarder réellement sur le pourquoi du port de tel ou tel habit dont la signification peut s'étendre à mon avis au-delà du simple choix esthétique mais qui agirait aussi comme une réflexion de la fonction de tel ou tel personnage, allant même à établir une idéologie véhiculée entre autres par les vêtements mettant ou non en valeur les acteurs ou le caractère de ceux et celles qu'ils incarnent.
Bien-sûr, il existe des codes inhérents à chaque genre cinématographique. Il est difficile d'envisager un western sans un minimum de stetsons, holsters et santiags (même si le genre, bien qu'extrêmement codifié, pourrait cependant se passer de la présence de cowboys) et il est également évident que les couleurs jouent un rôle important dans la personnification des caractères. Ainsi, le héros est souvent en blanc et le méchant en noir, le bien contre le mal, la lumière face aux ténèbres même si une fois encore, des variantes peuvent être apportées comme par exemple dans le premier
"Batman" de Tim Burton où le gentil est un être à l'apparence monstrueuse puisqu'il se réfugie sous le costume lugubre d'une chauve-souris géante et vit dans la cave d'un manoir en pleine campagne tandis que sa Némésis évolue à la vue, à l'air libre tout en portant des vêtements excessivement bariolés et chaleureux. Cette application des codes vestimentaires soumise à bouleversement m'a donc toujours intéressée.
Dans le cinéma contemporain (j'entends par contemporain le milieu des années quatre-vingt dix), deux genres cinématographiques se sont vus affublés de costumes qui les ont rarement quittés et qui encore aujourd'hui demeurent d'actualité. Aussi ai-je décidé d'orienter ma modeste analyse sur ces deux uniformes que le cinéma d'horreur et à suspense emploient avec une telle récurrence qu'elle n'est ni due au hasard, ni à de simples gouts de metteurs en scène mais qui à mon avis sont de lourds symboles des univers auxquels ils sont apparentés.
Code vestimentaire # 1 : Chauffe Marcel ! Popularisé par des héros masculins comme Jack Burton ou John McLane, le T-shirt sans manches blanc, appelé en France le "Marcel" a depuis été récupéré à tour de bras par le cinéma d'épouvante, les personnages le portant étant depuis de sexe féminin. Il est quasiment impossible aujourd'hui de ne pas tomber sur un film gore ou horrifique dans lequel l'héroïne ne porte pas un T-shirt blanc.
D'ailleurs, il est important de noter que, avant Kurt Russell ou Bruce Willis, le personnage qui intronisa le règne de la femme en tant que protagoniste principal d'un film d'angoisse sanglant n'était autre que le lieutenant de marine marchande Ellen Ripley, immortalisé par Sigourney Weaver dans le
"Alien le huitième passager". Et que porte Ripley à la fin du film lors de son combat ultime contre le xénomorphe qui s'est subrepticement glissé à borde de la navette de secours ? Un T-shirt blanc sans manches !
Je ne suis pas suffisamment renseignée pour affirmer que si Ridley Scott avait pu (poussé par Giger^^) filmer Ripley nue il n'aurait peut-être pas hésité à le faire. D'ailleurs, dans la bande dessinée et en particulier celles présentes dans des recueils comme
"Metal Hurlant", les dessinateurs ne s'embarrassaient parfois pas à donner des vêtements à leurs héroïnes.
Néanmoins, en 1986, lorsque James Cameron tourna la suite des aventures de Ripley contre les monstres baveux, il ajouta des manches au T-shirt et coupa les cheveux de Weaver, masculinisant son héroïne qui passait d'ailleurs du statut de victime obligée de se défendre par la force des choses à celui de guerrière n'hésitant pas à aller affronter les monstres pour sauver une petite fille.
Mais la Ripley de 1979 ne fit pas d'émule ni d'adeptes aussi rapidement et durant les années quatre-vingt, la plupart des films d'horreur ne développa pas cet accessoire vestimentaire en long, large et travers. La plupart du temps, l'héroïne ou
Final Girl conservait un maximum de vêtements sur elle, afin de symboliser le fait qu'elles demeuraient comme virginales, comme à l'abri des coups de boutoirs sanguinaires de monstres en tout genre grâce à une armure, une côte de mailles cachant le moindre centimètre carré de peau, l'abus d'étalage de chair étant réservé à des filles de petite vertu qui finiront par être éliminées par le sadique, le vampire ou le redneck mongoloïde.
Ainsi, dans des films comme
"Vendredi 13 chapitre 2" ou
"Freddy 3 Les griffes du cauchemar", les personnages féminins principaux sont certes des combattantes qui n'ont pas l'intention de se laisser faire, mais à aucun moment elles n'auront à le faire le muscle saillant et la nuque nue.
Ce qui bouleversera à mon avis l'ordre des choses et poussera à repenser le dress code de l'héroïne ne viendra pas d'une survivante de film d'horreur mais bel et bien d'une nouvelle guerrière , véritable icône cinématographique qui quant à elle subira un destin vestimentaire contraire à celui de Ripley. Peu avenante dans le premier film, Sarah Connor est métamorphosée en machine à tuer toute de muscles et de peau dans
"Terminator 2, le jugement dernier", de James Cameron.
Cameron, qui avait rhabillé Ripley dans
"Aliens", retire cette fois les manches du T-shirt de Linda Hamilton, probablement fière de son physique de catcheuse aux muscles secs et en fera une femme de tête, soldat de fortune émérite qui une fois encore prend les armes pour défendre l'enfance, ici issue de ces propres entrailles en plus. Sarah Connor devient alors le nouveau fer de lance de la "Sleeveless revolution" et je pense que c'est à partir de ce moment que le cinéma s'est vraiment décidé à codifier ses héroïnes, allant même jusqu'à les formater à foison.
Mais l'ambition de James Cameron était-elle de rendre Linda Hamilton sexy ou au contraire de la montrer comme une créature létale mais néanmoins fragile ?
Car ce qui est intéressant dans le cas de
"Terminator 2, le jugement dernier", c'est que le T-shirt blanc de Sarah devient noir une fois qu'elle s'est échappée de l'asile et qu'elle a trouvé refuge avec John et le T-800 chez son ami Carlos à la frontière mexicaine. Même si elle était déjà auparavant une guerrière, elle a néanmoins été confrontée au statut de victime puisqu'elle a du échapper aux lames acérées du T-1000.
Mais une fois relativement en sécurité, au moins pour un moment, Sarah change d'apparence et si le T-shirt demeure sans manches, il devient noir comme la colère qui dévore l'âme de la mère du sauveur de l'humanité. Elle prend les armes, se rend chez Dyson et tout le monde connait la suite.
Il ne semble pas que le choix de la couleur soit anodin ou le fait du hasard, mais vraiment que Cameron ait poussé le vice de la transformation mentale de son héroïne par une transformation physique et donc vestimentaire. Un antagonisme nait alors chez le personnage, qui pour faire le bien doit commettre le mal, à savoir tuer Miles Dyson et cet dualité passe par la codification des couleurs. Il convient de souligner que, un an avant Linda Hamilton, Tom Savini affublait déjà sa comédienne de
"La nuit des morts-vivants", Patricia Tallman d'un t-shirt sleeveless blanc, en faisant une héritière de Ripley, emboitant le pas à James Cameron même si le film se fit nettement moins remarquer. Mais je pense que la Barbara du remake du classique du film de zombies n'est pas habillée par hasard de cette manière, surtout que et à la façon de Sarah Connor, son personnage subit une
"transformation textile" au cours de son calvaire chez les cadavres ressuscités, passant du look d'institutrice névrosée à celui de soldat sexy et déterminée.
Après
"Terminator 2, le jugement dernier", l'uniformisation du T-shirt sans manches, ou débardeur, va devenir une sorte de norme, principalement au début des années 2000 et c'est principalement dans le cinéma horrifique que cet accessoire va vite devenir indispensable. Qu'il s'agisse d'Eliza Dushku dans
"Détour Mortel", de Jennifer Love Hewitt dans
"Souviens-toi l'été dernier", Katherine Heigl dans
"Mortelle St Valentin" (bien qu'elle ne soit pas l'héroïne du film de Jamie Blanks) ou Cécile De France dans
"Haute tension", toutes portent le débardeur au plus près du corps. Chez Aja par contre, son personnage possède des manches et des cheveux très courts, ce qui la rapprochent de la Ripley de
"Aliens" J'imagine sans peine qu'il y a évidemment une dimension sexuelle et hormonale à cette tenue vestimentaire, qu'il s'agit d'attirer le regard du jeune mâle consommateur de ce genre de films en salles ou à domicile. J'imagine aussi que certaines comédiennes souhaitent être mises en valeur et que les mœurs et mentalités ayant évolués, l'héroïne d'autrefois n'est probablement plus aussi virginale que maintenant mais je persiste à penser qu'il y a autre chose, que ce fichu sleeveless T-shirt signifie quelque chose.
La couleur blanche est très parlante, on en revient aux bases mêmes de cette couleur significative de pureté et d'innocence. Doit-on voir dans ces personnages des anges exterminatrices résignées ? Il n'y aurait qu'un pas à franchir mais le côté religieux n'entre pas en ligne de compte bien qu'il est aisé d'y voir des créatures divines détruire le mal en habit de lumière.
Mais le blanc n'est également pas réellement considéré comme une couleur, à l'instar du noir. L'héroïne vêtue d'un t-shirt sans manche blanc ne serait-elle pas alors une incarnation fantasmée de la morale, mais une morale déviante permettant de donner la mort en toute abnégation ? Car puisque le blanc n'est pas une couleur, le blanc n'existe pas et finalement toute notion de moralité s'estompe, dédouanant ainsi l'héroïne de tout jugement car elle n'aurait finalement pas vraiment assouvi de vengeance car il s'agit toujours de vengeance puisque dans 99.9% des cas, elle aurait eu la possibilité de fuir mais revient éliminer le ou les responsables de ses malheurs.
A contrario, le noir symbole de mal et de haine n'est pas non plus une couleur, et toute notion de bien contre le mal sur un plan purement physique disparaitrait alors, nous confortant dans l'aspect simplement
fictionnel de ce que nous venons de voir, nul sang ni nulle violence n'ayant finalement était versé ni ayant été infligée. Les deux parties en opposition seraient alors absoutes de tout péché,ce qui nous ramène qu'on le veuille ou non à la religion.
Alors l'absolution et la rédemption passeraient-elles obligatoirement par l'accomplissement d'un acte définitif les bras nus ? Et quelle autre grande figure iconique possède les bras nus et un uniforme blanc ?
Il s'agit effectivement de la justice. Toutes nos victimes devenues vengeresses ne seraient donc finalement que diverses incarnations de la justice, mais une justice ni aveugle ni équitable punissant le fauteur ou celui qui a versé les premiers sangs d'un fracas rédhibitoire de glaive. Je pense qu'au-delà de la simple tentative de rendre attractive une comédienne, le t-shirt blanc sans manche ou le débardeur possède vraiment une idéologie qui lui est propre, qui va au-delà de la simple apparence. Ainsi, le T-shirt blanc agirait en catharsis, obligeant celle qui le porte à se dépasser, à affronter ses peurs, à remiser ses faiblesses pour devenir plus forte, plus dure, plus féroce que les mâles !
Voilà. N'hésitez pas si vous en avez l'envie à me dire ce que vous pensez de cette uniformisation dans le cadre du cinéma de genre. J'espère vous avoir un minimum intéressés. Pour ma part, je reviens demain avec la seconde partie de ce sujet sur les codes vestimentaires au cinéma avec un autre uniforme qui lui aussi a fait son apparition il y a un certain nombre d'année avant de revoir le jour sous un nouvel aspect grâce à l'imagination et la déférence d'un jeune metteur en scène un peu fou dont les initiales sont Q.T...