Bon, avant que j'oublie complètement que j'ai un jour lancé ce feuilleton, il est temps d'en finir. Voici donc, dignement torché à 3 heures du matin, le...
VINGT-SEPTIEME ET DERNIER EPISODE
Voilà plusieurs semaines qu'une expédition est partie d'Australie afin d'aborder les divers continents victimes, ainsi que le savent ceux qui ont suivi ce feuilleton de merde passionnant, de la terrible maladie cannibalo-zombiesque.
Des nouvelles ? Aucune.
Les valeureux et téméraires héros chargés de cette mission délicate ne répondent pas au téléphone, n'envoient aucun courriel et ne réagissent pas aux messages envoyés par pigeons voyageurs. Dés lors, les suppositions les plus pessimistes circulent. On pense qu'ils ont été d'une manière ou d'une autre atteint à leur tour du mal qui a rongé leur semblable. D'autres suggèrent qu'ils ont été tout bonnement rongé par leurs semblables. D'autres prétendent qu'ils doivent être en train de ronger leur frein, désespérés par l'attitude de leurs semblables. Tous ceux qui n'arrivent pas à utiliser le verbe " ronger " et le terme " semblables " dans leurs propositions sont priés de fermer leurs grandes bouches. C'est vrai quoi, c'est déjà assez compliqué comme ça.
Disons-le, l'atmosphère est lourde parmi les survivants réfugiés en Australie. Les visages sombres. Les mines tristes. Les figures moroses. Les faces en berne. Enfin bref on fait méchant la gueule. — Jusqu'ici tout allait à peu près bien dans le monde. A part le réchauffement climatique qui pouvait nous mener au cataclysme imminent, les tensions entre différentes cultures ou différentes religions qui menaçaient de déclencher un jour ou l'autre un nouveau conflit mondial d'envergure, la grippe aviaire qui à tout moment pouvait décider d'éliminer de la surface du globe vingt pour cent de la population mondiale, le SIDA qui dévorait l'Afrique, la misère qui devenait de plus en plus dense y-compris dans les pays industrialisés... A part toutes ces petites choses, ça marchait comme sur des roulettes, le monde. Et voilà t-y pas qu'un stupide caillou sur le chemin de la science qui progresse nous ramène la fin du monde. Y a vraiment des siècles où on ferait mieux de rester au lit.
Mais en réalité, qu'en est-il ?
A peine arrivé sur les rivages de l'Europe, première étape de leur périple, les quelques volontaires ont pu constaté que les zombies se sont adaptés à leur nouveau statut de maître du monde avec une conscience aiguisée. Pour commencer, ils ont arrêté de déambuler les bras ballants dans les rues en maugréant. Plus la peine, à présent qu'ils sont entre-eux. Au lieu de cela, ils ont tâché avec succès de mettre en place un langage universel qui leur a rapidement permis de reconstruire une société digne de ce nom, instaurant un nouvel ordre social ignorant les notions de pouvoir ou de hiérarchie, et refusant le principe même de la propriété, parce que chacun le sait : la propriété, c'est le vol.
Vivant en bonne entente les uns avec les autres, les zombies ont ainsi créé un monde sans lois, sans punitions, sans répression, sans censure, sans morale. Inutile, puisque tous partagent les mêmes valeurs, et qu'aucun d'entre-eux n'éprouve le besoin de les trahir pour en tirer un quelconque intérêt personnel.
Evidemment, lorsque que le groupe d'êtres humains chargés de les observer fut découvert, on pourrait penser que les zombies se sont jetés sur eux pour les dévorer. C'est en effet ce qui est arrivé. Mais l'un d'entre-eux a été épargné. Pour des raisons obscures, d'ailleurs. J'ai longuement cherché dans mes archives une explication valable, mais à mon grand regret je n'en ai trouvé aucune.
Le seul survivant, un jeune français du nom de Jules Lajules, s'est alors fondu dans la société zombie. Il a évolué parmi ses nouveaux condisciples, et il est même tombé amoureux du cadavre ressuscité d'une danseuse morte d'une pneumonie dans les années 30. Bien sûr, elle n'était plus très fraîche, mais l'amour fait fi des préoccupations physiques, et avec beaucoup de déodorant on finit toujours par s'arranger.
De cet amour est né un enfant, un enfant mi-humain mi-zombie, répondant au nom de Nicolas Aaaarghak. Le premier prénom ayant été choisi par le père, et le deuxième par la mère.
Lorsque la fonte des grands glaciers fit s'élever le niveau des eaux et submergea l'Australie, noyant irrémédiablement les derniers êtres humains qui y résidaient, Jules Lajules avait complètement rayé de sa mémoire le souvenir de ses anciens camarades. Il était devenu un membre éminent de la société zombie, comme tous les autres puisque, je le répète, dans un monde où il n'est point de hiérarchie, chacun est un notable au même titre que son voisin.
On n'apprit la disparition de l'Australie sous les eaux qu'en retrouvant sur les plages quelques cadavres de koala, ainsi que tout un groupe de kangourous qui avait eu le temps de se fabriquer un radeau de fortune.
Aujourd'hui le monde appartient aux zombies. Ils ont adapté les villes à leur convenance, banni les armes de leur monde, banni les voitures, les avions, et toutes ces machines polluantes qui avaient mené l'humanité à sa perte. Certains parmi-eux ont toutefois pris la peine de conserver dans des archives le souvenir de l'humain, de cette race étrange qui les avait précédé sur la planète. Il en est même qui ont choisi d'apprendre à comprendre, lire et écrire leur langage. Je suis de ceux-là. Je pose aujourd'hui le point final à ce bref récit de ce que fut l'épopée zombie, qui devait amener le monde dans une nouvelle ère, une ère de joie, de bonheur et de prospérité.
Que ceux qui, plus tard, viendront prendre notre place dans ce monde, n'oublient pas en lisant ses lignes que rien n'est éternel, qu'aucun monde n'est invincible. Pour reprendre le vocabulaire abscons de nos prédécesseurs humains — abscons car la notion même de religion nous est parfaitement inconnue — je dirais que cette loi qui veut que tout soit un jour ou l'autre appelé à disparaître n'est pas une fatalité. C'est au contraire une bénédiction.
J'appose ici mon point final.
Veuillez agréer l'expression sincère de mes sentiments anthropophages les meilleurs.
Nicolas Aaaarghak Lajules.
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