Dr. Jekyll and Sister Hyde (1971, Roy Ward Baker)

Le docteur Jekyll est un brave scientifique dont l'ambition est de soulager l'humanité de ses maux les plus horribles. En quête d'un élixir de longue-vie à base d'hormones femelles qu'il prélève sur des cadavres à la morgue, avant de s'en remettre à des « professionnels » pour s'en faire livrer d'autres, il deviendra la propre victime de ses expériences, perdant ponctuellement sa personnalité au profit de sa « sister Hyde », son avatar féminin. Entre meurtres sanglants et pertes de personnalité, son existence devient un calvaire sans nom.

Dr. Jekyll et Sister Hyde compte parmi les films de la Hammer qui valent sincèrement le détour. Sans être magistrale, et malgré une grandiloquence parfois bien maladroite, la réalisation de Roy Ward Baker ne manque ni de charme, ni d'ingéniosité. Le paradoxe et les conflits entre le personnage du Dr. Jekyll et son double féminin sont mis en scène avec brio, et le film use d'une symbolique qui, quoique très démonstrative, n'en demeure pas moins pleine de subtilité et de poésie.

A travers cette adaptation très libre de l'oeuvre de Stevenson, Baker nous parle de la tension palpable qui réside en chaque homme, pris entre sa part masculine et sa part féminine. Le Dr. Jekyll, à l'origine, affrontait le monstre qui sommeille en chacun de nous. Dans ce film, il réalise à ses dépens le fantasme éprouvé par beaucoup d'hommes de se transformer en femme, d'éprouver et de ressentir les mêmes sensations et le même rapport au corps que l'autre sexe.

Il est également bon de noter l'attention toute particulière que ce film prête à l'ambiance générale de son récit. L'histoire se déroule dans un Londres du dix-neuvième siècle totalement sublimé, ou les mythes se croisent sans discernement. Ainsi apparaissent les personnages de Burke et Hare, deux tueurs en série des années 20 qui fournissaient des cadavres à l'école de médecine d'Edimbourg. De par la nature même des meurtres perpétrés par le Dr. Jekyll, la référence à Jack the ripper est également très marquée. Il y est même fait allusion dans un dialogue. Soixante années séparent pourtant les crimes de Burke et Hare et ceux de Jack l'éventreur... Enfin, le tout est recouvert par la figure majeure du Dr. Jekyll lui-même, seul personnage rééllement fictif au sein de la mythologie macabre mise en place. Rappelons que la nouvelle de Stevenson parut en 1886, soit deux ans avant que les meurtres de Jack l'éventreur ne soit perpétrés. Tout se mélange avec romanesque, sans crainde l'anachronisme, et cela donne une atmosphère plutôt réussie, un Londres chimérique, aux ruelles nocturnes peuplées de prostituées candidates à l'éviscération et de bobbies désabusés soufflant avec dégoût dans leurs sifflets à chaque nouvelle découverte morbide.

Dr. Jekyll et Sister Hyde est donc un film moins con que son titre, qui vaut le détour pour les amateurs de la Hammer ou pour les amoureux de films d'épouvante baroques et stylisés. Un bon film, sans être un chef-d'oeuvre. Et bien plus dense qu'il n'en a l'air.