La Bête Aveugle (Moju) - 1969 Réalisé par
Masumua YasukoÉcrit par
Shirazaka YashioD’après le roman d’
Edogawa RanpoMusique de
Hayashi HikaruAvec
Funakashi Heiji, Midori Mako, Sengoku Noriko Une jeune femme est enlevée par un artiste aveugle à mi-chemin entre génie et folie. Ce dernier désire reproduire le corps de la captive afin de créer un nouvel art, l’art tactile. Découvert en salles il y a peu (2005),
La Bête Aveugle est, au pire, un brillant film d’auteur, au mieux, un chef-d’œuvre à part entière. Débutant tel un thriller malsain dans lequel cet artiste aveugle séquestre et harcèle constamment sa captive, le film de
Masumua Yasuko nous plonge bientôt dans un univers onirique à la lisière de la psychose, grandement aidé par les gigantesques sculptures en formes d’oreilles, d’yeux, de bras, de jambes, de seins ou de corps féminins, qui ornent l’atelier du kidnappeur. Au final, on ne saurait dire si c’est le savoir-faire artistique de
Masumua Yasuko, la fabuleuse retranscription de
Shirazaka Yashio, ou l’œuvre originale d’
Edogawa Ranpo, qui permet d’aboutit à un résultat aussi marquant. Quoiqu’il en soit, il faut bien reconnaître que
La Bête Aveugle tire essentiellement sa force de la performance des acteurs. Bien que certaines mimiques ou attitudes nous rappellent que le métrage date de 1969 (on se doute rapidement que l’acteur principal n’est pas réellement aveugle, surtout lorsqu’il court sans hésitation après sa victime), les trois comédiens centraux délivrent une prestation retentissante, à la fois troublante et juste.
Quant aux personnages, rarement la limite fragile entre génie et folie n’a été si bien exploitée.
Yasuko et
Yashio retranscrivent avec virtuose la psychologie complexe, décalée et torturée des protagonistes développés par
Ranpo. Ne se cantonnant pas aux clichés habituels (le fou et la victime de service),
Yashio exploite de fond en comble la personnalité des personnages. Ainsi, l’artiste aveugle est un être renfermé sur lui-même, compensant sa cécité par un sens tactile surdéveloppé lui permettant aussi de sublimer une sexualité frustrée, accentuée par la relation fusionnelle qu’il établit avec une mère jalouse et possessive. Naïf, l’artiste tombe facilement dans les pièges de séduction que lui lance sa captive pour s’enfuir. Mais cette dernière est bientôt prise dans son propre piège. À force de côtoyer son assaillant pour le tromper, la jeune femme se sent de plus en plus attirée par l’artiste et perd la vue, elle aussi, pour développer un sens tactile supérieur à la moyenne. Ne trouvant plus de plaisir dans les échanges sexuels et tantriques « normaux », les amants doivent bientôt satisfaire leurs pulsions tactiles par des rapports sado-masochistes tellement poussés qu’ils les mèneront jusqu’à leur propre autodestruction.
En somme,
Edogawa Ranpo n’aurait pu rêver mieux.
Masumua Yasuko signe un chef-d’œuvre du cinéma asiatique en même temps que l’un des films d’auteur les plus décalés et les plus troublants.
La Bête Aveugle captive, hypnotise, et surprend de bout en bout. On en sort aussi conquis que bouleversé. S’il est un métrage à découvrir, c’est bien
La Bête Aveugle.
Note : 18/20