Ce serait beaucoup s'avancer que prétendre de
I walked with a zombie (
Vaudou, pour la France) qu'il est le premier film de l'histoire du cinéma à traiter du thème du zombie. Je n'ai pas une culture suffisante pour affirmer ce genre de choses. Cependant, s'il n'est pas le premier, il compte sans aucun doute parmi LES premiers, et à en juger par le caractère « culte » de ce film aujourd'hui, il aura été l'un des plus marquants dans le genre... !
Avant toute chose, une petite mise au point : le terme « zombie » qui apparaît dans le titre ne désigne pas le zombie post-romero, autrement dit le mort-vivant anthropophage (pour faire vite), mais le zombie au sens strictement vaudou du terme. Encore que Tourneur prend quelques libertés avec le phénomène de la zombification, qu'il assimile un peu rapidement à la mort clinique, mais là encore je ne tiens pas à trop m'avancer en terrain inconnu. N'ayant jamais égorgé de poulet à la pleine lune ou planté des aiguilles dans des petites poupées (même pas celle de Sarkozy), je ne saurais prétendre connaître sur le bout des doigts les subtilités des rituels vaudous...
Bref, tout cela pour dire que
I walked with a zombie n'a rien à voir avec un film apocalyptique décrivant des hordes de zombies mangeurs d'homme se déversant sur une humanité déconfite. Il raconte plus simplement l'histoire d'une infirmière recrutée pour s'occuper d'une malade sur une île des Antilles, et découvrant que cette personne est une zombie, c'est-à-dire (selon le film) une morte qui reste vivante, et qui agit telle une somnambule, dénuée de conscience, et demeurant le plus clair de son temps dans un état végétatif qui semble irrémédiable.
Plusieurs choses retiennent l'attention quand on regarde ce grand classique du genre. D'abord, il s'agit d'une oeuvre profondément intimiste. Hollywood oblige, le scénario insiste volontiers sur l'histoire d'amour — très chaste, naturellement — se développant entre l'infirmière et le mari de la malade. Moins conventionnel, et beaucoup plus intéressant, les liens difficiles entre ce même mari et son frère, ainsi que le personnage de leur mère, sont mis en scène avec une grande beauté. Beaucoup de destins se croisent dans ce film, une tension sous-jacente qui s'exprime avec peu de dialogues et beaucoup de non-dits.
Ensuite, ce film est l'occasion de parler du vaudou, certes, mais sans passer par les habituels clichés raciaux, sinon racistes, auquel le cinéma de cette époque s'adonne généralement sans scrupules. Les Noirs qui apparaissent dans le film ne sont pas des imbéciles heureux ou de vils serviteurs soumis. Leur pauvreté, leur désarroi face à leur condition d'enfants d'esclaves, sont présentés d'une manière profondément honnête. Qu'ils soient issus d'une autre culture, d'un autre passé ou d'un autre héritage, ne change rien à leur humanité.
Le vaudou lui-même n'est pas représenté comme une religion inepte, barbare et infantilisante. Somme toute, le film ne fait pas dans la bonne morale chrétienne. Il souligne le paradoxe de ce peuple qui adopte deux religions à la fois (le christiannisme ET le vaudou) mais, dans le fond, ce sont les rites vaudous qui s'avèrent efficaces... En somme, la sorcellerie prime sur la lithurgie, et le petit Jésus n'y change pas grand-chose...
Du point de vue esthétique, le film est une vraie réussite. Certains plans sont d'une grande beauté, et d'autres d'une sensualité étonnante, en particulier lorsque Tourneur filme une cérémonie vaudou, les danses et la transe qui en découle. On aurait aimé que cela dure plus longtemps, mais bon, on va pas chipoter.
I walked with a zombie est une oeuvre bien plus poétique que mystique. Ou du moins, si elle donne l'impression d'être mystique, c'est précisément à sa poésie qu'elle le doit.
Il y aurait beaucoup de choses à dire sur ce film, et je me rends compte que je m'embrouille déjà pas mal, donc je vais conclure ici. Je ne recommande pas ce film aux amateurs d'action pure et dure, qui seront évidemment déçus. Mais tous les amoureux des films à tendance « psychologique », tous les spectateurs en quète d'émotions esthétiques, tous ceux aussi qui veulent remonter aux sources du cinéma d'épouvante, devraient à mon avis, s'ils ne l'ont pas déjà fait, regarder
I walked with a zombie et apprécier le talent, sinon le génie, dont fait preuve Jacques Tourneur dans ce film imparable, qui a beaucoup moins vieilli que bon nombre de ses congénères.
Il est quatre heures du matin, alors désolé si cette petite présentation ne vaut pas tripette, mais quand les paupières commencent à devenir lourdes, c'est difficile de faire soi-même dans le léger tout en demeurant clair et concis...