Alors, pour répondre succinctement...
D'abord, je suis en accord avec toi sur pas mal de points. Le fait est que dans des films comme
Rambo ou les
Die Hard, aucun personnage ne remet vraiment en cause l'extraordinaire propension des personnages principaux à faire des trucs absolument impensables ailleurs qu'au cinéma. Tandis que les phénomènes d'incrédulité de la part de personnages sont sensiblement courants dans les films d'horreur...
C'est pour cela que je parlais de phénomènes touchant au surnaturel, qui justifient plus aisément une incrédulité. Ce que je veux dire, c'est que Rambo qui détruit à lui tout seul les trois quarts de l'armée soviétique en Afghanistan, ce n'est pas surnaturel. C'est totalement
impossible, certes, mais cela ne relève pas du paranormal en soi.
Le plus paradoxal étant que si Rambo était un personnage surnaturel, un dieu-vivant ou quelque chose comme cela, sa faculté à faire des trucs aussi insensés serait diégétiquement mille fois plus crédibles... Mais on s'écarte du sujet.
Le cinéma ne raconte pas que des choses réalistes, et dans le cadre même de notre perception de la réalité, il peut amplifier, exagérer, pousser à l'absurde, sans pour autant heurter notre sens des réalités. Je reste sur Rambo : je SAIS qu'il est impossible de faire sauter un hélicoptère rien qu'en lui tirant une flèche enflammée dessus. Mais ma réaction face à cette scène sera de dire : « c'est complètement con ! ». Cette scène met en valeur l'absence totale d'intelligence des scénaristes. Elle ne heurte pas ma conception du réel, comme peut le faire une histoire de fantômes qui, elle, choisit de faire évoluer son champ diégétique dans une autre réalité, à un autre niveau d'imaginaire que l'esprit humain catalogue automatiquement comme relevant de l'irréel.
(Pour
Rambo, au passage, j'ai pleinement conscience qu'au-delà des scénarios des films, le personnage lui-même est une icône, un symbole volontairement poussé à l'extrême, ce qui explique le caractère totalement con de
Rambo 2 et
3, qui ne sont jamais que des films de propagande. Quant au premier, il n'a rien à voir : il relève beaucoup plus du survival, je trouve. Ce sont surtout les suites qui sont critiquables.)
Et quand on est dans le champ de l'irréel, il apparaît narrativement plus convenable que des personnages au sein de la diégèse puissent contester ce même irréel, se faire les porte-paroles du bon sens face à des hordes de goules ou de loups-garous. L'inverse peut déstabiliser grandement la réception d'un film.
Un exemple : je me souviens d'un film de Jean Rollin, très mauvais, s'appelant
Les Deux orphelines vampires. Dans ce film, deux jeunes aveugles vivant dans un orphelinat retrouvent la vue chaque nuit et partent en quète de sang frais car elles sont des vampires. Une scène m'a particulièrement marqué : elles sont dans un cimetière, avec leurs cannes blanches et leurs lunettes noires, et quand vient le soir elles retrouvent la vue et se débarrassent de ces ustensiles. A ce moment-là, deux personnages, que l'on n'avait jamais vu auparavant, les observent et se disent :
« Oh, regarde ! Des fausses aveugles !
— Mon Dieu, il faut absolument les détruire ! »
Cette scène est ridicule. Et son ridicule provient précisément du fait que ces deux personnages savent
d'emblée que des fausses aveugles sont des vampires, alors que le film est censé se dérouler dans un univers similaire au notre. La réaction de ces deux personnages apparaît donc comme totalement absurde, et nuit grandement à la crédibilité générale du film.
C'est d'ailleurs un fait récurrent dans un certain nombre de nanars : la faculté étonnante qu'ont les protagonistes à accepter en un temps record le caractère paranormal d'évènements surnaturels. Alors que dans la réalité, l'être humain est naturellement enclin à chercher avant tout des explications logiques aux choses étranges qui peuvent survenir. Pour la bonne raison qu'il y en a, hélas peut-être, toujours une.
Donc, tout cela pour dire que, dans un sens, l'incrédulité d'un personne au sein de la diégèse d'un film d'horreur, particulièrement face à des évènements surnaturels, est un élément important pour embarquer le spectateur, assurant la jonction entre l'illusion de réel et l'univers décalé que le film représente.
MAIS : d'une part, tu l'as fort bien dit, le film d'horreur ne concerne pas que les histoires relatant des évènements touchant au surnaturel. Donc, ce que je viens de dire ne concerne pas TOUS les films d'horreur.
D'autre part, il est exact que, parfois, cette incrédulité d'un personnage est en soi un discours diégétique, une sorte de passage obligé qui peut être perçu comme un acte de mise en abime. C'est flagrant dans des films très « second degré » comme
Evil Dead 2.
Pour autant, je ne suis pas vraiment d'accord quand tu dis que la création de deux camps, que le processus de conversion d'un personnage, est un acte de mise en abime.
Oui, il s'adresse aux spectateurs. Et oui, il a probablement pour but (de façon instinctive, d'ailleurs) d'embarquer le spectateur. Mais doit-on en conclure que le personnage sceptique
représente le spectateur ? Qu'il a pour vocation de signaler au spectateur sa propre présence, de lui rappeler qu'il est en train de regarder un film ? Je ne le pense pas. Je crois plutôt que le spectateur est amené inconsciemment à s'identifier au personnage incrédule, qui réagit peut-être comme lui réagirait, ce qui rend d'autant plus efficace le basculement dans l'épouvante pure. Mais finalement, cet acte diégétique là n'est PAS de la mise en abime. Bien au contraire : il ne cherche nullement à faire prendre du recul au spectateur vis-à-vis du caractère artistique ou arbitraire de ce qu'il regarde, il cherche au contraire à favoriser et faciliter son immersion.
Le bémol, important, c'est que ce que je suis en train de dire ne concerne qu'un genre précis de films. Il ne concerne pas des films d'épouvante ou d'horreur qui traitent, ainsi que tu l'as dit, de tueurs fous, de médecins sadiques, etc.
D'autre part, cela ne concerne pas non plus les films qui choisissent de se situer d'emblée dans des mondes imaginaires.
Vampires de Carpenter, par exemple, se déroule dans un monde dans lequel tout le monde sait que les vampires existent, et tout le monde trouve cela normal.
Et enfin, ce système de « je suis incrédule - ça y est, je suis convaincu » n'est pas forcément le schéma le plus efficace pour favoriser l'immersion du spectateur. Il est devenu tellement cliché qu'il a perdu de son efficience. Et même quand il ne le veut pas, il peut produire sur certains spectateurs un effet de recul. On se détache plus aisément de quelque chose que l'on a vu mille fois. On cesse de vouloir pénétrer l'imaginaire que colporte le texte, et on se contente d'en observer les rouages, la machinerie, l'ossature narrative. Et même s'il n'y avait pas de volonté de mise en abime, le résultat devient le même.
Mais en écrivant tout cela, je me rends compte que ma réponse n'est PAS satisfaisante.
En effet, nous abordons avec ce débat un champ incroyablement complexe. J'ai écrit ce message à l'improvisation totale, et à mesure que j'écrivais, de nouvelles idées, de nouvelles considérations, s'imposaient à moi, et me faisaient prendre conscience de l'immensité du champ d'analyse dans lequel nous évoluons.
Je pense tout ce que j'ai écrit, naturellement, mais trop de contre-exemples me viennent en tête également. Qui me font prendre conscience, par exemple, de la complexité profonde d'un phénomène comme celui de l'identification au sein d'un récit d'épouvante.
Le format même de notre discussion est frustrant : nous ne pouvons pas nous répondre en direct, ce qui fait que nos idées « s'affrontent » sans vraiment parvenir à se compléter, à s'assimiler les unes aux autres. Disons le mot : nous sommes en train de mener une correspondance philosophique, là où la conversation serait nettement plus favorable à l'émulsion des idées.
Et je n'arrive pas, c'est dans ma nature, à te livrer des réponses claires, à ne pas me perdre dans des circonvolutions, dans des digressions, dans des apartés interminables. En somme : je n'arrive pas à organiser ma pensée. Parce que je n'en prends pas le temps. Cette conversation que nous avons pourrait fort bien se prêter à un travail universitaire étalé sur plusieurs années, tant elle soulève de points intéressants et fondamentaux.
En fonctionnant à l'improvisation comme je le fais, je n'arrive pas à ne pas me perdre... C'est pourquoi je crois que je vais en rester là. Parce que j'ai l'impression, toute proportion gardée naturellement, ne de pas te répondre avec tout le sérieux que mérite la discussion, et que tu mérites en tant qu'interlocuteur.
Mais je voudrais te dire que tu m'as permis de prendre conscience de certains ressorts narratifs propre au cinéma d'épouvante sur lesquels je ne m'étais jamais penché, du moins pas sous cet angle. Et je pense que, pour mon petit plaisir personnel, j'aurais l'occasion d'y réfléchir plus avant. Cela risque de m'apporter beaucoup !
C'est pourquoi je te remercie d'avoir bien voulu mener ce débat avec moi, en m'excusant de l'interrompre d'une manière aussi abrupte. Mais je ne suis pas à la hauteur, ou du moins je ne me sens pas de passer plusieurs jours à y réfléchir de façon intense afin d'organiser et de rationaliser ma pensée. Du coup, je deviens un interlocuteur somme toute assez stérile.